Argile, tabac et liberté

par drlebagage

Mémé connaissait beaucoup de choses. En tout cas elle connaissait toutes les choses qui comptaient vraiment, à son avis. Pourtant elle était bien obligée de reconnaître qu’elle n’y connaissait pas grand chose en Golems.

Depuis qu’elle vivait à Ankh-Morpork, elle en avait vu quelques uns, toujours affairés. C’était de grandes statues d’argile muettes, infatigables et vieilles de plusieurs siècles. Elle savait aussi que c’était la magie des mots contenus dans leur tête qui les faisait vivre.

Témoignait de ce phénomène les reflets rouges qui s’échappaient des trous qui figuraient leur yeux dans leur tête d’argile vaguement humanoïde.

C’était deux yeux de ce type qui la fixaient de l’autre côté de la table. Même elle se sentait mal à l’aise face à ce regard. Pourtant il émanait une certaine douceur de la masse d’argile qui constituait son corps.

De la douceur et de l’inquiétude. Car ce golem était inquiet et c’est pour cela qu’il était dans le bureau de Mémé.

Golem

On aurait pu penser qu’un morceau d’argile vieux de plusieurs siècles (et qui avaient passé quelques uns de ceux-ci à creuser un puits -alors que les hommes qui lui en avaient donné l’ordre avaient même oublié l’existence de ce puits et son existence à lui), était peu sujet à l’anxiété .

Pourtant il s’inquiétait pour Mlle Chercoeur.

« Pourquoi venez vous me voir? »

Mémé se demandait si les golems buvaient ou prenaient une quelconque drogue. Quelle drogue pouvait être assez puissante pour faire planer de la glaise ?

Il écrivit sur son ardoise :

JE VIENS POUR MADEMOISELLE CHERCOEUR. JE SUIS INQUIET.

Mémé fronça les sourcils. « Ah ben v’la aut’chose. » « Je ne fais pas de philtres d’amour. N’apporte que des ennuis. Les gens n’arrêtent pas de les mélanger. C’est qu’embrouille et compagnie. »

Il n’est pas possible pour un golem de rougir pourtant celui-ci arriva contre toute attente à afficher un certain embarras.

« MADEMOISELLE CHERCOEUR EST UNE AMIE. ELLE FUME TROP. »

Mlle Chercoeur était la propriétaire du Comptoir des Golems, une agence de louage qui leur permettait de travailler mais plus extraordinaire pour eux, d’être rémunérés pour ce travail, leur permettant ainsi de racheter leurs frères encore esclaves.

Car les golems impavides statues d’argiles étaient tombés amoureux du concept de liberté.

Et c’est ainsi que le golem qui se nommait Mr Lapompe (1) en vint à parler de ses inquiétudes (enfin les écrire à la craie) à Mémé. Il Il fallut souvent qu’il ralentisse ou qu’il explique les mots compliqués comme autodétermination.

« Si j’ai bien compris vous tenez beaucoup à votre liberté, hors c’est Mlle Chercoeur qui d’une certaine façon vous l’a donnée. Vous êtes donc très ennuyé de la voir ainsi esclave de la cigarette. J’ai bien résumé ? » (2)

OUI

« Et combien elle fume de cigarettes par jour votre amie? »

40. QUAND TOUT VA BIEN.

« Ah oui quand même. Mais vous savez je ne peux rien faire à distance. Il faut que votre amie vienne me voir. »

« De préférence de son plein gré » Préféra-t-elle rajouter après un coup d’oeil à la carrure de son interlocuteur.

JE VAIS ESSAYER MAIS ELLE EST TÊTUE.

« Peut-être devriez-vous lui faire part de votre inquiétude et partager avec elle votre intérêt pour sa liberté? »

PEUT-ÊTRE

il effaça pour écrire :

DE TOUTE FACON QU’EST-CE-QUE JE CRAINS?

puis:

JE SUIS UN GOLEM

et enfin :

LES GOLEMS NE SENTENT PAS LA DOULEUR.

Après un temps, où ses yeux semblèrent clignoter :

MOUHAHAHA

Mémé se rendait compte qu’elle avait encore beaucoup de choses à apprendre sur Ankh-Morpork et ses habitants,  mais ça, elle ne l’aurait reconnu devant personne et surtout pas devant ce Mr Prochacha avec ses grands airs.

(1) son nom complet était la Pompe 19, oui il on peut dire qu’il avait déjà touché le fond dans sa vie.

(2) Comme on peut le voir, après un intermède gênant impliquant des chèvres,  Mémé quoique déçue de n’apprendre aucun tour de cirque, avait bien mise à profit sa rencontre avec le Mage Prochacha.